Linux things 🐧

un blog sur les technologies des logiciels libres et autres digressions

armitage

Mon, 13 Oct 2014 18:21:21 +0200

Texte écrit en 2004 inspiré par le maßtre William Gibson.

Je saisissais dans un geste inconscient la fiche neuronale. Elle s’insĂ©ra avec la facilitĂ© dĂ©concertante liĂ©e Ă  des annĂ©es de pratique. Parfois je me rappelais les premiĂšres annĂ©es oĂč ces nano-secondes de souffrances me semblaient durer une Ă©ternitĂ© 
 L’entrĂ©e habituelle ; elle avait perdu de sa magie, mais je ne souhaitais pas la personnaliser. Sans doute les restes d’un sentiment de pouvoir dĂ©crocher un jour 
 La matrice brillait de tous cĂŽtĂ©s, l’horizon m’attirait comme un aimant, difficile d’y rĂ©sister
 Toujours ce flux incessant de donnĂ©es. Je flottais en essayant de pĂ©nĂ©trer des yeux leurs Ă©motions ; ridicule. Celles-ci sont aussi inconscientes qu’une fourmi, mais dans leur ensemble forment un ensemble logique, une entitĂ©. J’en Ă©tais persuadĂ©. Ce vieux mythe de l’IA auto-gĂ©nĂ©rĂ©e 


Je chassais ces idĂ©es de mon esprit, perte de temps pour l’instant. La matrice m’attendait, je pouvais presque la sentir vibrer, elle m’envahissait de toute part. J’avais besoin de ce moment subtile oĂč l’esprit fusionne avec ce vide Ă©clatant, oĂč l’esprit se libĂšre de la chair. Je suis persuadĂ© que chaque cowboy a son propre moment, ainsi, moment d’intimitĂ© exclusif et secret, un rituel avant d’entrer dans l’arĂšne. J’activais enfin mes interfaces de reconnaissance. Elles affichaient en semi-transparence les derniĂšres informations a une vitesse hors de portĂ© d’un simple Ɠil. L’esprit a des capacitĂ©s bien limitĂ© par son corps


Les derniĂšres offres clignotaient discrĂštement en laissant un lĂ©gĂšre rĂ©manence. Comme d’habitude le Computer avait toujours besoin de code libre
 niveau 0, kernel, Ă  niveau 10, IHM. Je m’étais spĂ©cialisĂ© dans les Interface Homme Machine, trĂšs prisĂ© par les nerds, bien entendu. J’avais d’ailleurs programmĂ© mes interfaces de reconnaissance. MalgrĂ© mes filtres les demandes en niveau 10 Ă©taient toujours aussi gigantesque ; je dĂ©crochais. L’artĂšre d’engagement permettait de prendre de la vitesse. Tout cela Ă©tait subjectif bien sĂ»r, le cerveau ne pouvant pas s’adapter une vitesse instantanĂ©e. En rĂ©alitĂ© je me dĂ©plaçais Ă  la vitesse de la pensĂ©e ; essayer d’imaginer cela c’est comme essayer d’imaginer l’infini 


Je me dirigeais vers le fameux rĂ©seau Peercast, principal rĂ©seau P2P spĂ©cialisĂ© en streaming vidĂ©o et audio. Il y a bien longtemps j’avais contruis une IHM, passerelle d’accĂšs Ă  ce rĂ©seau. Cela m’avait demandĂ© du temps, mais cela a permis Ă  ce rĂ©seau de s’étendre encore plus, et finalement j’en Ă©tais plutĂŽt fier. Peercast Ă©tait Ă  lui seul une matrice dans la matrice, comme tous les rĂ©seaux en maille P2P. Il Ă©tait devenu le principal moyen de communication. Il avait fait oublier le streaming unidirectionnel, qu’on appelait Ă  l’époque la tĂ©lĂ©vision. Qui voudrait utiliser cela de nos jours ? oĂč chaque nerd diffuse son propre canal, oĂč chaque nerd est un journaliste, oĂč chaque nerd est autant animateur que spectateur. Peercast Ă©tait nĂ© dans les annĂ©es 2000, Ă  l’aube du Computer


Le FLux. Tel Ă©tait la source de vie, sans dĂ©but ni fin. Le Flux est le fluide corporelle de la Matrice, il en est le Gulf Stream. NĂ©cessaire Ă  toute vie numĂ©rique, et au delĂ . Il modifie notre perception de la rĂ©alitĂ© car il en est devenu la reprĂ©sentation, le miroir, l’incarnation. J’aurais pu le sentir battre via mon pouls. Peercast fournissait les artĂšres. Nombreux Ă©taient ceux qui voulaient sa destruction, que cela soit des gouvernements pseudo dĂ©mocratique, des Multinationales État et mĂȘme des sectes apocalyptique. Mon travail consistait Ă  protĂ©ger ce rĂ©seau et par delĂ  lui ce Flux qu’il propageait. TĂąche lourde, difficile et dangereuse. Je devais ĂȘtre sans attache et volontaire. Ne pas fournir un moyen de pression est un des commandements du cowboy.

Le Flux permettait, grĂące des siĂšcles d’usage, de fusionner nos esprits lors de nos communications. Les mots et toutes les barriĂšres sĂ©mantiques disparaissaient pour qui en avait la force. On pouvait enfin comprendre rĂ©ellement, l’autre, une situation, un contexte. Ces avantages n’allaient pas sans quelques dĂ©sagrĂ©ments et nombreux sombraient dans la folie pure. On retrouvait des nerds les yeux figĂ©s dans le vide

 Les autres ne distinguaient plus le virtuel de la rĂ©alitĂ© et sombraient 
 dans la paranoĂŻa.

Le Jeux. Il se propageait plus vite que toute autres contamination qu’ait subit l’humanitĂ©. Ce Jeux faisait parti du Flux, mais grĂące Ă  son succĂšs il devenait de plus en plus un Flux unique. Les accros Ă©taient connectĂ©s en permanence et dĂ©crochaient le temps d’assouvir les besoins de leur corps. Au dĂ©part ce n’était qu’un simple jeux de rĂŽle, inspirĂ© de rĂšgles datant d’une autre Ă©poque oubliĂ©e. On se crĂ©ait un personnage en fonction d’un secteur parmi des centaines. L’interaction avec les autres joueurs Ă©tait forte, de vĂ©ritable amour ou haine se vivaient Ă  travers des avatars. La technologie permettait de modifier son corps pour vivre son personnage en dehors de la Matrice. Ainsi on croisait des visages pĂąles couvrant un sourire canin, des chairs dĂ©chirĂ©es par du mĂ©tal, des puces Ă  usages divers implantĂ©es un peu partout


Le Jeux continuait en dehors de la Matrice. A travers lui, la Matrice s’insinuait dans chaque interstice de notre sociĂ©tĂ©. On fusionnait littĂ©ralement pour le meilleur ou le pire, qui sait.

F. Logier, 2004. CC by SA